Alors que la justice des mineurs est en passe d’être modifiée, on ne peut que constater que l’Ordonnance de 1945 qui la régissait jusqu’à présent a été peu à peu vidée de son sens.
Les conditions sociales et économiques ne sont plus prises en compte et les mineurs sont le plus souvent traités comme des majeurs, parfois avec des peines plus lourdes. Les centres fermés se multiplient et leurs effets sur des jeunes, qui sont en construction, sont dramatiques.
À l’occasion d’un horrible fait divers, à la lecture du parcours de l’auteur du meurtre d’une jeune fille par un homme de 32 ans, T. M., en février 2011, plusieurs professionnels ont eu le sentiment que la politique du tout enfermement dès le plus jeune âge allait contribuer à fabriquer à moyen et long terme de futurs TM.
Très vite étiqueté par les médias comme multirécidiviste en matière de délits à caractère sexuel, le parcours judiciaire de TM se révèle être celui d’un enfant victime de violence dès son plus jeune âge, émaillé d’abandon, de rupture et de placements.
Mis en prison pour mineurs dès 16 ans pour des petits délits, il est accusé avec deux codétenus d’avoir introduit un manche à balai dans l’anus d’un quatrième détenu. Il a toujours nié avoir participé à ce viol mais il est condamné à cinq ans de prison dont deux avec sursis. Cet acte commis, certes odieux, est le sort réservé par les codétenus en prison à ceux qui sont appelés les « pointeurs » parce que classés comme délinquants sexuels. Le système carcéral, loin d’empêcher les violences, génère ce type d’attitudes et n’assume pas la protection des détenus eux-mêmes.
TM va commettre, à la fin de cette première incarcération comme mineur, une série de délits de tous ordres mais aucun à caractère sexuel.
Un viol du même type que celui dont a été accusé TM lors de sa détention comme mineur s’est d’ailleurs produit dans un CEF l’année dernière. Trois mineurs ont violé un autre adolescent avec un bâton. L’enfermement favorise les comportements limites, notamment chez des adolescents, êtres en devenir, qui dans un cadre éducatif ouvert, ne feraient pas de passages à l’acte de ce type.
Cet article intervient en pleine réforme de la justice des mineurs, qui met fin à la primauté de l’éducatif contenue dans l’ordonnance du 2 février 1945 régissant la justice des mineurs. Celle-ci affirmait que chaque enfant, chaque adolescent était éducable et faisait primer l’éducatif sur le répressif. Elle affirmait d’ailleurs dans son préambule : « la société n’est pas assez riche de ses enfants pour s’en priverd’aucun ».
Le projet de loi sur la justice des mineurs
Le 17 mai, le Sénat a adopté en première lecture un projet de loi qui prévoit pour les majeurs l’introduction de jurys populaires en matière correctionnelle et pour les mineurs plusieurs dispositions qui mettent fin, notamment pour les adolescents de plus de 16 ans, à une justice spécifique. Alors que le Conseil constitutionnel a invalidé les articles de la loi Loppsi 2 concernant les mineurs (notamment la comparution immédiate), estimant qu’ils étaient en contradiction avec la Convention européenne des droits de l’enfant, le projet de loi reprend une procédure qui se rapproche de la comparution immédiate des majeurs et l’introduction du tribunal correctionnel pour les plus de 16 ans. Les juges des enfants n’auront plus qu’un rôle secondaire et se borneront, au lieu de prendre en compte la personnalité du jeune ou le contexte familial et social, à considérer l’acte lui-même. Le temps éducatif, nécessaire pour appréhender la problématique du jeune et lui permettre d’évoluer, va de fait disparaître avec toutes ces nouvelles procédures. Celles-ci vont s’ajouter à la loi sur la récidive qui avait introduit les peines planchers pour les majeurs comme pour les mineurs. Ce système d’automaticité de la peine en fonction du nombre de délits se solde le plus souvent par des peines de prison fermes. Ces lois sont dramatiques car de plus en plus d’adolescents et d’enfants seront exclus à tout jamais de la société. La délinquance des mineurs ne baissera pas car l’exemplarité de la peine est un mythe.
Dans le contexte actuel d’hystérie sécuritaire et de populisme pénal, la spécificité de la justice des mineurs est donc laminée et l’enfermement devient peu à peu la solution unique. Pour justifier le fait de les juger comme des adultes, Sarkozy et ses clowns de ministres de l’Intérieur et de la Justice ne cessent d’affirmer que « les jeunes d’aujourd’hui » ne sont plus ceux de 1945.
Pourtant, un constat s’impose : la guerre de classe à l’œuvre avec les politiques libérales et en particulier la destruction des services publics, fabrique un chômage de masse, exclut de nombreux enfants de l’accès aux droits sociaux. D’après la défenseure des enfants, parmi les 8 millions de personnes qui vivent en France avec moins de 950 euros par mois, pas moins de 2 millions sont des enfants.
Arrière-fond idéologique d’une régression
L’histoire de la prise en charge de l’« enfance irrégulière », terme employé pendant des décennies, est une longue suite d’enfermements, de châtiments corporels où se côtoient jeunes « vagabonds », enfants dont les pères réclament l’enfermement et auteurs de délits plus ou moins graves.
L’histoire des colonies pénitentiaires, du début du xxe siècle jusqu’aux maisons de correction d’avant 1945, est ponctuée de murs qui suintent la faim, la maltraitance, avec comme conséquence la mort d’enfants et d’adolescents sous le coup de ces mauvais traitements. Cette histoire de la prise en charge des jeunes en difficulté évolue selon un mouvement de balancier. Le regard sur l’enfance en danger est soumis aux aléas des politiques et au gré des régimes, la prise en charge de cette « enfance irrégulière » évolue vers la répression sous les régimes autoritaires et en temps de crise, et vers une approche plus humaine puis plus éducative dans des périodes plus « ouvertes ».
En France, des années 1960 jusque dans les années 1980, on assiste à la disparition progressive des centres fermés et à l’apparition de pratiques éducatives innovantes incluant approche analytique, pédagogie du « faire avec » et ouverture de foyers éducatifs à petits effectifs. C’est d’ailleurs Peyrefitte, ministre de l’Intérieur, auteur de la loi répressive « sécurité et liberté » qui fermera le dernier centre fermé en 1978 !
Après les Trente Glorieuses, la crise économique provoque l’accroissement du chômage, de la précarité, des difficultés économiques et sociales. On assiste à une augmentation des petits délits de la misère, commis par des majeurs comme par des mineurs. La question de la sécurité est alors instrumentalisée à chaque élection, les jeunes servant de boucs émissaires.
À cela s’ajoutent plusieurs éléments :
1- La volonté d’en finir avec la « permissivité de Mai 68 » : le seuil général de tolérance envers les comportements de transgression des jeunes et des enfants diminue (alors que la transgression est un passage « normal » dans la trajectoire de l’enfant jusqu’à l’âge adulte). La justice est de plus en plus souvent sommée de sanctionner des actes de transgression qui auparavant étaient en général réglés dans le cadre scolaire ou familial. Une judiciarisation à outrance se met en place selon l’adage « qui vole un œuf vole un bœuf », avec une version actualisée qui serait plutôt « qui donne une gifle donnera un coup mortel ». Il faut en finir avec une conception de l’éducation qui laisse le temps nécessaire pour l’action éducative et qui favorise l’approche analytique de la problématique de ces jeunes. On oublie volontairement que ce qui caractérise un jeune en danger est qu’il est le plus souvent victime et auteur. La justice des mineurs est accusée de tous les maux alors qu’elle a un taux de réponse supérieure à celle des majeurs (94 % des auteurs de délits sont poursuivis, ce taux est nettement plus bas pour les majeurs). Et, de plus en plus, les mineurs de plus de 16 ans subissent des peines supérieures à celles des majeurs mis en cause dans les mêmes affaires. L’impunité des mineurs est pourtant éternellement brandie, notamment par les syndicats policiers qui servent ce couplet de façon récurrente. Ceux-ci voudraient qu’ils soient jugés comme des majeurs, déniant toute excuse de minorité.
Parce qu’il n’y a pas de résultats immédiats et visibles en termes de baisse de la délinquance des mineurs, les structures ouvertes sont petit à petit remises en cause. Il n’y a pas d’évaluation des différents modes de prise en charge ouverts, que cela soit en foyer, en insertion ou dans les services de milieu ouvert. Pourtant une évaluation fine du parcours des jeunes passés par ces structures permettrait sûrement de mettre en avant des évolutions positives. Mais aujourd’hui, ce qui intéresse les politiques, c’est l’effet immédiat et visible des réponses apportées. Il faut juste montrer que les mineurs auteurs de délits ne menacent plus l’ordre public car ils sont enfermés dans les centres éducatifs fermés (CEF), les établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) et les centres de jeunes détenus (CJD).
2- On assiste à la remise en cause de l’éducabilité des enfants avec le retour des théories de l’inné et de l’acquis et la prééminence de l’origine au détriment de l’histoire familiale et affective. Le rapport Benisti s’en est fait le porte-parole en préconisant des dépistages précoces, avec une courbe de la délinquance de 3 ans à 18 ans. Ce rapport a d’ailleurs donné naissance au mouvement « Pas de zéro de conduite » qui a permis de mettre un coup d’arrêt à ces velléités de dépistage systématique. Si ce mouvement a connu un réel succès, c’est parce que ce dépistage visait au bout du compte tous les gamins trop remuants et les classes moyennes ont compris que leurs propres enfants seraient aussi concernés, même si ce sont les enfants des milieux les plus défavorisés et/ou issus de l’immigration qui étaient au départ visés et stigmatisés.
3- Sur le fond, les théories comportementalistes comme panacée de la rééducation ont le vent en poupe. C’est le symbole d’une idéologie sécuritaire, portée par les lobbies qui essaient de tout ramener à des explications physiologiques et où le psychisme est mis au second plan. Par ailleurs il ne faut pas négliger les enjeux économiques pour l’industrie de la sécurité et de l’enfermement.
Mise en place des structures d’enfermement
Les CEF, présentés à leur création comme structures fermées mais éducatives, seraient, selon l’actuel ministre de la Justice, les structures modèles pour les mineurs délinquants. Cela se traduit par l’affectation exclusive des moyens financiers et en personnels aux structures d’enfermement avec la création de CEF puis d’EPM. Les différents ministres de la Justice ont tenté de faire croire que les CEF n’étaient pas tout à fait fermés, en oubliant que la plupart des jeunes placés en CEF le sont soit dans le cadre d’un contrôle judiciaire, soit dans le cadre d’un sursis avec mise à l’épreuve (SME). Cela signifie que la moindre fugue devient un délit et que bon nombre de jeunes placés dans un CEF ont été incarcérés parce qu’ils étaient en fugue du CEF (et non pour le délit commis). En effet, un incident au contrôle judiciaire ou au sursis mise à l’épreuve (SME) donne la possibilité au juge de révoquer le contrôle judiciaire (CJ) ou le SME accompagnant le placement. On peut dire que dans ces circonstances, la fugue devient une évasion et se trouve punie comme telle! Pour mettre en place les CEF, les foyers éducatifs de la protection judiciaire de la jeunesse sont progressivement fermés tout comme les structures d’insertion. Depuis 2002, 55 foyers ont été fermés et cela va continuer puisque le budget 2012 prévoit la transformation de 20 foyers en CEF s’ajoutant aux 43 existant actuellement. Le contrôleur des prisons, Jean-Marie Delarue, dont la fonction va disparaître comme celle de la défenseure des enfants, a rendu en décembre 2011 une série de recommandations à la suite d’observations recueillies dans quatre centres éducatifs fermés. Il note que certaines équipes ont recours de manière abusive à la contrainte physique. Il a remarqué le recours à des personnels éducatifs sans formation, un manque de respect du droit des mineurs et de leurs parents et un suivi psychiatrique insuffisant. De fait, pour nombre de jeunes, la situation va se dégrader. En effet, s’il n’y a pas de murs, ils sont dans l’obligation de rester dans ces centres dont toute sortie non autorisée est une fugue. Éduquer dans un lieu clos relève de l’impossible. Le fait de mettre des jeunes les plus en difficulté dans un lieu clos provoque l’effet « cocotte minute », le développement d’une forme de « caïdisme », bien connu des anciennes maisons de correction. On retrouve dans les rapports des personnels les termes employés du temps de celles-ci. Le moindre incident avec un personnel, la moindre résistance à un ordre donné, sont transmis par écrit au juge des enfants. Celui-ci a des informations « en direct » à propos du comportement du jeune à un instant T, vision complètement impressionniste qui efface peu à peu la problématique du jeune.
Les EPM créés après 2005, actuellement au nombre de six, sont censés mettre de l’éducatif dans les peines d’emprisonnement. Pour cela, on a créé des binômes éducateur/surveillant de prison. Ce binôme censé combiner sécurité et éducation est un leurre. La grève toute récente des éducateurs dans ces EPM illustre l’impossibilité de conjuguer éducation et prison. De fait, si ce projet avait recueilli l’approbation de certains qui pensaient que la présence d’éducateurs amoindrirait l’effet de la prison, c’est l’inverse qui s’est produit. L’objectif est de maintenir les jeunes détenus dans une suractivité permanente, ce qui fait que de nombreux jeunes disent préférer effectuer leur peine en CJD où les activités ne sont pas obligatoires !
Et dans les EPM, des jeunes se suicident comme dans les prisons classiques. Le premier adolescent qui s’est suicidé dans un EPM était âgé de 15 ans. Le rapport ordonné à la suite de ce suicide est accablant pour les deux administrations, pénitentiaire et responsable de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) de cet EPM. En effet, à la suite d’une première tentative de suicide, le jeune garçon avait été emmené à l’hôpital. Devant le refus du médecin de garde de mettre par écrit le motif de la préconisation d’hospitalisation (respect du secret médical), le responsable de l’EPM avait refusé de laisser cet adolescent à l’hôpital. Il s’est suicidé peu après !
Aujourd’hui le taux d’incarcération des mineurs explose, conséquence de l’application des récentes lois : peines planchers et procédures rapides de présentation immédiate. Au 1er avril, le nombre de mineurs détenus s’élevait à 804 contre 688 au 1er janvier 2011.
Pour s’opposer à cette destruction de la justice des mineurs, il faudrait une mobilisation d’ampleur mais celle-ci ne dépasse pas pour l’heure le champ des professionnels.
Le SNPES-PJJ/FSU, syndicat majoritaire à la protection judiciaire de la jeunesse, s’est élevé et s’élève encore contre toutes ces réformes successives qui entérinent le tout répressif et le tout enfermement des mineurs. Le Syndicat de la magistrature, l’Association des magistrats de la jeunesse ont eux aussi comme le SNPES-PJJ/FSU du mal à se faire entendre. La résistance est difficile dans ce climat sécuritaire où les partisans de l’éducation passent pour angéliques.
Anne Leclerc