Publié le Vendredi 18 novembre 2011 à 22h55.

Protection sociale : le véritable enjeu

 

« Si les autorités françaises ne poursuivent pas la réforme des retraites, ne continuent pas de modifier la Sécurité sociale et ne consolident pas le budget face au risque d’accroissement des dépenses liées aux retraites et à la santé », alors « il est incertain que Standard & Poor’s maintienne la note AAA ». En un mot, « la Sécu ou la note triple A, il faut choisir ». Tel est le message, sans ambigüité, délivré par l’agence Standard and Poor’s, dans un document rendu public le 11 juin dernier1.

Les autres contributions de ce dossier ont abordé la question de la fiscalité, voyons ce qu’il en est de la Sécurité sociale.

Un enjeu de 392 milliards d’euros

En 2009, les cotisations sociales versées pour alimenter les caisses de Sécurité sociale représentaient 315 milliards d’euros. soit 1/5e de la richesse produite chaque année, (alors que l’ensemble de la fiscalité d’État représente 280 Mrds). Il faut y ajouter les cotisations chômage et des régimes complémentaires de retraite, ce qui aboutit au chiffre de 392 milliards d’euros2.

Ces cotisations sociales (que ce soit la part dite « salariale » ou celle dite « patronale ») ne sont pas un impôt. Elles sont une partie du salaire versé par les employeurs soit aux caisses de sécurité sociale, soit à Pôle Emploi et redistribuée aux salariés par ces organismes. Les cotisations sociales, ont une place essentielle dans la répartition de la richesse produite entre salaires et profits : les employeurs versent environ autant de salaire socialisé sous forme de cotisations (ce qu’ils appellent des « charges ») qu’ils n’en versent sous forme de salaire « net ».

Le premier objectif poursuivi depuis des années par les gouvernements de droite et de gauche a été la diminution de l’ensemble des prestations financées par des cotisations sociales (baisse des pensions, déremboursement de médicaments, ticket modérateur, franchises, forfait hospitalier, diminution de l’indemnisation du chômage). Il devient alors indispensable, pour ceux qui en ont les moyens, de faire appel, aux fonds de pensions (pour les retraites) ou aux assurances santé complémentaires (pour les soins)

Le second consiste à transférer ce qui reste des dépenses socialisées vers des impôts payés essentiellement par les salariés, les chômeurs, ou les retraités.

C’est depuis longtemps le cas des diverses taxes sur le tabac, l’alcool, ou aujourd’hui les boissons sucrées, sans d’ailleurs que l’affectation de ces taxes aux dépenses sociales soit garantie.

La création de la CSG, par le gouvernement socialiste de M. Rocard a marqué une étape décisive. Sa montée en puissance exonère progressivement les employeurs du financement de la protection sociale.

Une étude de la DREES de 2008 en tirait un premier bilan : en 1990 lors de la création de la CSG, les « ménages » finançaient la protection sociale à hauteur de 31% tandis que la part des entreprises était de 42 % et celle des administrations publiques de 27%.

Six ans plus tard la part des « ménages » avait augmenté de 9 points à 40 %, tandis de celle des entreprises avait chuté de 6 points (36%) et celle des administrations publiques de 3 (24 %).

Et l’étude conclut sans ambigüité « c’est la progression des impôts et taxes affectés dans le financement de la protection sociale, par la CSG, mais aussi par la compensation des exonérations de charges, via un transfert de recettes fiscales qui explique la plus forte contribution des ménages entre 1990 et 2006, pour la quasi-totalité des risques. »3

La création du RMI, par le même gouvernement Rocard, poursuit les mêmes buts pour l’indemnisation du chômage. Un revenu de survie financé par l’impôt pallie les insuffisances de l’assurance-chômage. Comme le note Aurélien Purière : « le rôle joué par le RMI dans sa relation avec l’assurance chômage est double: d’abord il entérine en 1988 la situation de recul de l’assurance chômage….. Ensuite par son rôle de « filet de sécurité », il facilite un affaiblissement continu de l’assurance chômage et donc du rôle joué par le salaire socialisé. »4

Exploitant le contexte de la crise et de la lutte contre les déficits, la droite voudrait aujourd’hui franchir un pas décisif : nouvelle attaque sur les retraites, fin du remboursement à 100 % des affections de longue durée, déremboursement des soins de ville, financement par une assurance privée obligatoire de la « dépendance », auxquels Bruno Le Maire propose d’ajouter la « fiscalisation » des allocations familiales et la diminution de l’indemnisation du chômage.

Au programme également l’augmentation de la CSG (en commençant par les retraités) et l’instauration d’une TVA dite « sociale » impôts les plus injustes car pesant d’abord sur les moins fortunés.

En face, le PS avance l’une de ses propositions phares : « la fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG pour créer un impôt plus progressif et prélevé à la source…»,

Un impôt « plus progressif » (même si la formule reste vague) est bien sûr moins injuste qu’une « TVA. sociale » Mais au-delà de cette différence la proposition du PS présente un double danger.

Le premier c’est qu’elle cesse d’affecter clairement les sommes prélevées à la Sécurité sociale.

On sait ce qu’il est advenu de la vignette auto…« pour les vieux » !

Le second c’est qu’au-delà de divergences sur les modalités, le programme du PS se situe dans le même cadre que celui de la droite : la « lutte contre les déficits » et la diminution des dépenses socialisées. Préconisant « une stratégie de gauche pour réduire les déficits » il promet « des redéploiements, sans nouvelle dépense ».

Il se situe au nom de la « compétitivité » et de « l’emploi » dans la même perspective de réduction des cotisations sociales et de transfert vers l’impôt. Le patronat ne serait pas trop effrayé par une légère augmentation d’impôts… compensée très largement par la réduction des cotisations sociales.

Le salaire socialisé, un acquis essentiel à défendre

Face à l’offensive contre le salaire socialisé, il y a aujourd’hui au sein de la « gauche de la gauche » un débat : la défense du salaire socialisé est-il encore d’actualitéalors que la CSG représente déjà près du quart du financement de la protection sociale ?

L’important ne serait-il pas de défendre un système solidaire, quel que soit son mode de financement et de ne pas se diviser sur des questions devenues peu lisibles pour les salariés ?

Bien sûr, il n’y a pas à faire du mode de financement un préalable à l’action commune, mais la lutte pour la défense des cotisations sociales, n’est pas une bataille d’arrière-garde.

Car pour le patronat la lutte contre ce qu’il appelle les « charges sociales » est une lutte quotidienne et sans merci.

Il ne saurait être question de l’abandonner pour quiconque se bat « pour une autre répartition des richesses »… en espérant de manière bien hypothétique, (et avec quel rapport de forces ?) reconquérir demain par une fiscalité plus juste ce que l’on aura accepté de perdre sans combat.

Un programme anticapitaliste doit proposer une réforme profonde de la fiscalité, notamment en remplaçant les impôts indirects par des impôts directs et progressifs. (voir les autres contributions de ce dossier). Ces propositions sont complémentaires de la défense du salaire socialisé, pour financer la protection sociale.

Dans la campagne qui va s’ouvrir nous devons rendre concrète et populaire cette défense du salaire socialisé : autour de l’idée de base que le meilleur moyen de prendre sur les profits, c’est d’augmenter les salaires nous pourrions articuler les revendications concernant le salaire direct et indirect en montrant le lien entre les deux.

Nous proposons donc d’ajouter aux revendications d’augmentation du salaire direct (salaire net minimum de 1600 euros, 300 euros d’augmentations de salaire net pour tous, et indexation des salaires sur les prix), les revendications suivantes concernant le salaire socialisé :

- une protection sociale pour des droits sociaux et non pour la charité

- Des pensions, prolongation du meilleur salaire, des soins remboursés à 100 % par la Sécurité sociale, etc.

- Un vrai salaire pour un vrai emploi : aucune exonération ou « modulation » de cotisations sociales, ou d’emploi « aidé » pour les patrons.

- Suppression de la fiction du « salaire brut » et des « cotisations salariales » : toutes les cotisations doivent être des cotisations dites « patronales », qui doivent être proportionnelles au salaire net.

- Une protection sociale payée par les employeurs et non par nos impôts.

- Refus de toute augmentation de la CSG : notre but, c’est la suppression de la CSG5, remplacée par des cotisations sociales (dites patronales)… et non son remplacement par un autre impôt, fût-il « progressif ».

Jean-Claude Laumonier

(commission nationale santé sécu social du NPA)

1. par lemonde.fr Comptes de la protection sociale 2009 (étude de la Drees février 2011).

  1. 3. DREES, ministère de la santé, Études et Résultats N°648 Août 2008, le financement de la protection sociale: une analyse par risque social.

4. Aurélien Purière, Assistance Sociale et Contrepartie, L’Harmattan 2009 Du moins, sa part pesant sur les revenus du travail.