Une enquête d’un an, menée par le média d’investigation Lighthouse Reports, le Monde, Der Spiegel, The Times et Arte, sur les naufrages de migrantEs comorienEs tentant de rejoindre l’île de Mayotte, un prétendu « département français » (à 8 000 km de l’Hexagone !), vient confirmer ce que les militantEs antiracistes et anticolonialistes ne cessent de dénoncer : la politique de fermeture des frontières aux migrantEs tue.
Mais ce n’est pas simplement une politique qui tue. Car, si, comme le rappelle l’enquête, « il est estimé que 10 000 personnes se sont noyées en essayant de faire ce voyage depuis 1995 », elle prouve la responsabilité directe de la police aux frontières (PAF) : « La police française est responsable des morts ou disparitions d’au moins 24 personnes — y compris des femmes enceintes et des enfants — lors d’interceptions violentes en mer au large de Mayotte » (Lighthouse Reports, 16 septembre). L’estimation de 24 personnes repose sur des documents officiels. Un bilan certainement beaucoup plus lourd à mettre au compte de la PAF agissant au nom de l’État français.
« La pratique habituelle »
Basée sur une vingtaine de témoignages de rescapés, l’enquête décrit « la pratique habituelle » — depuis au moins 2007 — des naufrageurs de la PAF. Chargés d’intercepter les kwassa, de frêles canots de pêche transportant des migrantEs, ils les encerclent, créent de grandes vagues qui les font chavirer et n’hésitent pas à les percuter, provoquant des noyades.
Lighthouse Reports rapporte ainsi le témoignage de Zoubert et Ahamada, deux rescapés du naufrage du 15 juillet, leur kwassa ayant été éperonné par une vedette de la police : "Notre embarcation s’est déchirée, tout le monde est tombé à l’eau […]. Tout le monde criait. Ils nous ont regardé nous noyer sans bouger." Zoubert affirme avoir vu une adolescente et un homme âgé disparaître sous l’eau. Ahamada […] se souvient que leur pilote tentait de fuir vers la plage lorsque la vedette de la PAF les a percutés par derrière. "C’est à ce moment-là qu’ils nous ont frappés", a-t-il dit. Après l’impact, il a vu son neveu de quatre ans s’enfoncer dans l’eau. "C’est vraiment ignoble. S’ils nous avaient laissés débarquer, ils auraient pu nous arrêter sans tuer les gens." »
Colonialisme et guerre contre les migrantEs
Une information judiciaire a été ouverte, mais — sans surprise — pour le préfet de Mayotte, François-Xavier Bieuville, les « filières d’immigration […] sont les premières responsables de ce drame », prétendant que la PAF n’intervient que pour des opérations de sauvetage. Le message du représentant de l’État est sans ambiguïté : la chasse aux migrantEs peut continuer en toute impunité, et par tous les moyens, y compris criminels.
Par tous les moyens, précisément parce que Mayotte est une colonie (« d’outre-mer ») où touTEs les habitantEs sont traitéEs avec mépris (comme après le passage du cyclone Chido, abandonnéEs par la France), où l’exception devient la règle et où les discriminations et violences racistes, inhérentes au colonialisme et indispensables au capitalisme, peuvent se déchaîner encore plus librement qu’en métropole contre les réfugiéEs. Des expulsions très supérieures (de 60 %) ; des droits très inférieurs que la droite et l’extrême droite veulent voir appliquer aussi dans l’Hexagone (suppression de l’AME, restriction du droit du sol…) ; une chasse meurtrière aux migrantEs menée par la police et même par une partie des Mahorais — particulièrement précarisés et misérables (77 % des habitantEs sous le seuil de pauvreté / 14 % en France) —, le pouvoir colonial détournant leur colère sociale contre les ComorienEs, pourtant un seul et même peuple.
L’impérialisme français attise les divisions pour maintenir sa domination dans cette partie de l’océan Indien, stratégiquement et économiquement importante, où la concurrence est vive avec les autres impérialismes.
Liberté de circulation et d’installation ! Égalité des droits ! Impérialisme français hors de Mayotte et des Comores ! Il doit finir le temps des colonies.
Germain Gillet