À Grenoble, les permanences hebdomadaires du DAL ne désemplissent pas. De semaine en semaine, le 115 répond qu’il n’y a plus de place et les dossiers DAHO (droit à l’hébergement opposable) et DALO (droit au logement opposable) aboutissent peu. Pour les locataires en demande de mutation ou en attente des travaux pour cause d’insalubrité de leur logement, rien ne bouge. Alors les sans-logis et mal-logéEs, avec le soutien du DAL 38, s’organisent. Jusqu’à l’occupation d’un immeuble vide le 9 décembre.
Les permanences permettent de briser en partie l’isolement des personnes et de remplir des dossiers d’accès à un toit. C’est le lieu de la prise de conscience collective du non-respect du droit. Un système discriminant barre l’accès au droit des plus pauvres, notamment par le maintien de loyers élevés, l’entretien très insuffisant des immeubles ou la vente de logements sociaux. Les rénovations sont souvent l’occasion, par l’augmentation des loyers qui en résulte, d’exclure les locataires les plus pauvres.
Le droit au logement, une affaire collective
Les occupations sont l’un des outils pour sortir de l’invisibilité et de l’anonymat. À Grenoble, on ne part pas de rien. Dès l’été 2019, une douzaine de jeunes majeurs étrangers, lycéens pour la plupart, avaient contacté le DAL. Le conseil départemental supprimait leur prise en charge, qui finançait leur hébergement, pour cause de majorité. Après des semaines de lutte, nous avions décidé ensemble d’occuper une salle paroissiale. Soutenu par de nombreuses associations, des enseignantEs, des travailleuses sociales, des parents d’élèves, des clercs de différentes religions, l’intersquat, les syndicats et plusieurs partis, le collectif jeunes majeurs s’était imposé sur la place publique par son auto-organisation, pour manifester, prendre la parole, écrire les tracts. Expulsés pour cause de confinement (!) et sans solution ils avaient occupé à nouveau. Déterminés et courageux, ils sont sortis de la clandestinité, et nul ne peut ignorer aujourd’hui qu’après leur journée au lycée, une grande partie d’entre eux retourne dormir à la rue ! Leur action politique a fait avancer la prise de conscience générale. Ils savent également relier les luttes entre elles, en participant notamment aux différents actes de la Marche des sans-papiers, ils sont moteur de la convergence des luttes. Mais concrètement leur situation n’a pas bougé.
De la lettre aux ministres…
Aussi, face à l’inertie des pouvoirs publics et forts de la circulaire ministérielle affirmant que par temps de pandémie et de trêve hivernale personne ne devait dormir à la rue, avec les marcheurs, des femmes avec enfants toujours à la rue, et bien d’autres, ils et elles ont écrit à Emmanuelle Wargon, ministre du Logement, et Olivier Véran, ministre de la Santé.
Une lettre politique. Extrait : «Nous demandons des moyens humains et matériels proportionnels à la détresse des mal-logéEs et ce quoi qu’il en coûte ! Nos situations sont diverses mais nos revendications se rejoignent. Nous sommes victimes des mêmes décisions politiques qui privilégient l’enrichissement et la spéculation à nos dépens, avant le bien commun ». Et d’exiger que « le droit au logement inaliénable et universel soit inscrit dans la Constitution ».
Sur l’agglomération grenobloise il y a 17 000 logements vacants, 1 800 personnes sans abri officiellement (plutôt autour de 5 000 d’après différentes associations humanitaires) et 17 000 foyers en attente de logements sociaux. L’occupation est une action légitime surtout quand la réquisition légale n’est appliquée ni par le préfet ni par le maire. En effet, la réquisition inscrite dans la loi de 1945, remodelée plusieurs fois, autorise le préfet à réquisitionner des logements vides quand l’offre de logements mis à disposition ne satisfait pas la demande. Si le préfet ne le fait pas, le maire a le pouvoir de le faire lui-même. Surtout en ce moment où l’urgence sociale s’ajoute à l’urgence sanitaire, 40 % des sans-abris sont touchés par l’épidémie, et la santé de touTEs est menacée !
… à la réquisition d’un immeuble
Faute de réaction politique, 52 personnes ont donc décidé d’occuper un bâtiment de l’îlot dit « les Volets verts ». Il y a là 250 logements sociaux vidés de leurs habitantEs depuis cinq ans mais... chauffés ! Propriété d’Actis bailleur social dont la présidente est aujourd’hui la première adjointe de la Ville, en remplacement d’Éric Piolle. La revendication est que toutes ces personnes soient immédiatement relogées, parce que le logement est un droit et qu’elles sont en lutte. La réponse d’Actis et de la Ville est scandaleuse : malgré l’ouverture de négociations sur les relogements, l’électricité a été coupée et l’ensemble des fluides risque de l’être avant la fin du mois. Des pratiques politiques minables. Face à cela, la solidarité populaire est dynamique, les appartements sont équipés, la nourriture arrive et les habitantEs s’auto-organisent. Ensemble, le 23 décembre nous fêtons Noël devant l’Hôtel de ville à notre façon pour exiger la remise de l’électricité, la non coupure du chauffage et de l’eau et l’ouverture de véritables négociations. Nous exigeons l’application du droit de réquisition, et le relogement en logements pérennes et dignes de tous ceux et celles qui occupent cet immeuble des Volets verts. Et ce sera un grand Noël… de lutte !