Le 16 mai 2022, le conseil municipal de Grenoble a adopté à une courte majorité le nouveau règlement des piscines. Les débats s’enflamment dans la ville, et bien au-delà, au sujet de l’article 10 de ce règlement qui autorise les burkinis, ainsi que les monokinis, dans les piscines grenobloises, déclenchant une déferlante de propos islamophobes et identitaires à droite mais divisant également la gauche. Retour sur cet épisode en cours et essai d’éclairage sur certains éléments.
En juin 2018, 312 femmes musulmanes signent une pétition adressée au maire de Grenoble pour demander l’autorisation du burkini dans les piscines municipales et un rendez-vous pour en discuter. En l’absence de réponse, sept d’entre elles se baignent alors en burkini deux fois en mai et juin 2019 réclamant toujours à être reçues. Elles ont le soutien affirmé de l’Alliance citoyenne, du Planning familial, du FUIQP. Et celui plus silencieux de plusieurs autres associations locales, de syndicalistes et de militantEs politiques. Elles ne seront pas reçues mais devront payer des amendes pour non-respect du règlement des piscines.
Mais le maire Éric Piolle, réélu en 2020, va finalement changer d’attitude : les discussions sont entamées jusqu’à l’adoption de l’autorisation du burkini dans les piscines.
« Soumission à l’islamisme »
Aussitôt, Alain Carignon (ancien maire de Grenoble, ancien ministre, condamné à de la prison ferme pour détournement de fonds publics, aujourd’hui conseiller municipal d’opposition) dénonce « la remise en cause des valeurs de la République, le recul de la cause des femmes, l’ouverture de la ville à l’islamisme politique ». Wauquiez, président de la Région, annonce que « plus un centime ne sera versé à Grenoble en représailles de sa soumission à l’islamisme, perte d’un territoire de la République », Marine Le Pen veut faire voter une loi pour interdire définitivement le burkini en France et Jordan Bardella affirme que « les islamistes veulent nous conquérir et la gauche est leur complice ». Le gouvernement suit. Darmanin donne instruction au préfet de faire suspendre l’autorisation du burkini et de faire annuler cette décision du conseil municipal.
Le référé laïcité, nouvelle procédure créée par la loi sur le séparatisme d’août 2021, va être utilisé pour la première fois par le préfet pour saisir le tribunal administratif. En effet l’article 5 de cette loi inique permet aux préfets de demander la suspension de l’exécution d’un acte d’une collectivité qui porterait gravement atteinte aux principes de laïcité et de neutralité des services publics. Le TA rendra sa décision sous 48 heures. Le maire a annoncé sa décision de faire appel au Conseil d’État si la décision du conseil municipal était rejetée1.
Quelques réflexions qui n’épuisent pas le sujet
À juste titre, beaucoup ici pensent que ce vêtement porté par des usagères des piscines ne remet en cause ni la laïcité ni la neutralité, celles-ci ne s’appliquant qu’aux agentEs de services publics. Quant aux interdictions d’afficher des signes religieux, elles sont encadrées par la loi dite sur le voile (2004) : interdiction dans les écoles, collèges et lycées. Le burkini ne crée pas a priori de troubles à l’ordre public. Enfin le principe de liberté est sacralisé dans la Constitution, y compris celui d’afficher ses convictions religieuses ou son athéisme dans l’espace public. Et il ne peut être remis en cause que pour des motifs très graves. Le burkini est porté par quelques femmes dans les nombreux lacs de l’Isère appartenant à différentes intercommunalités depuis des années. L’exemple de Rennes est aussi parlant.
Enfin, et c’est un grand classique, il remettrait en cause l’émancipation des femmes musulmanes. C’est une affirmation globalisante, extrêmement essentialiste et donc raciste. Comme si dans ces moments d’incertitudes immenses liées à la paupérisation accrue, aux inégalités de plus en plus flagrantes, aux réflexes identitaires nauséabonds, les femmes, musulmanes de surcroît, devenaient le trouble majeur à l’ordre établi. Ne nous laissons pas diviser et détourner de nos combats !
- 1. Un appel dont le résultat devrait être connu vendredi 3 juin.