Le 15 août dernier, les faucheurs et faucheuses volontaires ont procédé à l’arrachage de 70pieds de vignes transgéniques sur une parcelle de l’Inra de Colmar. Cette action ravive les tensions autour des OGM, tensions qui étaient apaisées suite au moratoire politique sur les Organismes génétiquement modifiés et l’adoption du principe de précaution. L’essai OGM-vigne de l’Inra de Colmar est un essai en plein champ, où les pieds de vigne sont transgéniques. Ceux-ci ont été modifiés génétiquement afin d’exprimer des acides nucléiques du virus du court noué. Cette modification a pour objectif de permettre à une vigne reconstituée – par ajout d’un greffon (la partie aérienne de la vigne) sur ces porte-greffes transgéniques – de résister au virus du court-noué. Ce virus est transmis au vignoble de cep à cep par un nématode (ver du sol) qui s’alimente au niveau des racines. La maladie du court-noué est une maladie du bois et concerne en particulier les porte-greffes américains, utilisés pour combattre le phylloxéra.
L’essai a déjà une histoire riche et mouvementée
En janvier 2003, l’Inra annonce la reprise de l’essai OGM-vigne qui a été interrompu en 1999, à la suite de nombreux débats qu’il avait suscités. Elle se réjouit de la mise en place d’un comité local de suivi qui doit bouleverser les habitudes en termes de dialogue entre experts et citoyens, sur des sujets sensibles…
Les pieds de vigne sont coupés par P.Alzevandre en septembre 2009, qui est condamné à un euro symbolique d’amende. Un jugement en appel au pénal est en cours contre celui-ci « pour le préjudice causé à la société ».
Mais entre-temps le tribunal administratif a annulé l’autorisation de l’essai, car celui-ci ne respecterait pas la législation européenne : la directive impose des rapports périodiques sur les conséquences environnementales et sanitaires de l’essai qui pourraient apparaître après son achèvement. Or l’autorisation délivrée n’exige pas cela de l’Inra.
L’essai reprend en 2010 à la suite de promesses du gouvernement, qui souhaite tout particulièrement soutenir ce projet.
Un essai potentiellement dangereux pour l’environnement…
L’Inra de Colmar a essayé de faire croire qu’il n’y a pas de risque de dissémination, et qu’il n’y a pas de problème à mener cet essai en plein champ. Mais de nombreux documents nous apprennent que les risques ne sont absolument pas maîtrisés.
Par exemple, le risque de recombinaison viraleest très grave : le transgène (qui est un gène viral) résistant au virus du court-noué peut se recombiner avec d’autres virus, lors d’une infection virale, car ces organismes ont la capacité de s’échanger spontanément leur matériel génétique. Ces nouveaux virus qu’on appelle recombinants ne sont absolument pas contrôlables…
À ceci s’ajoutent évidemment les risques qu’on ne maîtrise pas aujourd’hui : c’est-à-dire les réarrangements possibles et non intentionnels du matériel génétique avec lui-même et avec son environnement.
À la base de son argumentation, l’Inra soutenait que la manipulation génétique ne modifie pas la vigne cultivée ni le raisin (et le vin qui en découle). Mais, de la bouche du directeur de la station viticole – et confirmé par le Haut Conseil des biotechnologies – ce risque ne peut être écarté.
L’Inra de Colmar a essayé de créer un essai irréprochable. Elle a promis que les risques de dissémination dans l’environnement seraient nuls. La question subsiste : quelle efficacité ont les bâches enfouies, censées empêcher le passage des insectes vers de terres et autres micro-organismes du sol qui pourraient être modifiés par le transgène ? Le risque par pollinisation est écarté (suppression des fleurs), celui de dissémination par les insectes piqueurs-suceurs demeure. L’Inra a refusé de répondre à cette question.
…qui en plus s’avère inutile
Dangereux, cet essai est surtout inutile pour la recherche, mais aussi pour les paysans : la suppression des fleurs de la vigne, pour empêcher la dissémination par le pollen, fausse complètement les hypothèses de l’essai. En effet, la vigne ne peut plus être assimilée à une vigne normale quand elle n’a plus de fleurs. En plus, on ne peut pas savoir si le transgène y serait présent…
Il était tout à fait possible, au lieu de gaspiller l’argent pour sécuriser un essai en plein champ et céder à la précipitation mercantile, de faire d’abord un essai en milieu confiné.
De plus un essai en plein champ doit intervenir seulement a posteriori, et ne doit que confirmer des résultats d’essais en laboratoire : l’essai de Colmar passe outre ces précautions…
Des enjeux marchands à la base du projet…
Cet essai est fait sur mesure pour la viticulture intensive : seuls les viticulteurs qui veulent augmenter la productivité des grands cépages ont intérêt à combattre le court-noué autrement que par des méthodes agronomiques conventionnelles ou naturelles (par exemple la rotation des cultures ou la jachère). Mais ces mêmes vignerons ne veulent pas des OGM car cela risquerait de nuire à l’image de qualité des vignobles français. Au lieu de promouvoir une fuite en avant techniciste, on pourrait envisager d’orienter les aides de la Politique agricole commune pour promouvoir ces méthodes douces, à la place de l’arrachage massif des vignes qui est mis actuellement en avant et qui détruit les petits vignerons.
Mais surtout il s’agit d’un essai qui s’insère dans une stratégie commerciale dictée par Monsanto et poursuivie par l’université de Cornell qui ont des brevets sur l’objet des expérimentations proposées par l’Inra. Tout développement et poursuite de ces expérimentations donneront lieu au paiement d’une licence et serviront les intérêts marchands de ces firmes et universités, qui auront là des expérimentations gratuites de leurs méthodes brevetées, réalisées par un centre de recherche public ! Évidemment, cet organisme de recherche choisit volontairement de financer des expérimentations génétiques qui peuvent engendrer du profit, au lieu de se pencher sur les alternatives qui existent déjà, mais qui elles ne sont pas appropriables !
… combinés à une volonté d’augmenter l’acceptabilité sociale des essais en plein champ
L’essai OGM-vigne de Colmar est avant tout une tentative de faire accepter les expérimentations OGM en plein champ. En prétextant des objectifs de « connaissance détachée des intérêts économiques », cet essai qui n’a aucune utilité – on l’a vu – a été conçu comme une manipulation sociologique. L’essai a toujours été enrobé d’un comité de suivi local, animé par des citoyens soigneusement choisis pour la non-radicalité de leurs opinions. Les questions posées à ce comité contenaient déjà la réponse, c’est-à-dire la poursuite de l’essai. Et cerise sur le gâteau, c’est l’Inra, qui a toujours soutenu le projet, qui organisait les discussions. À l’ère des débats citoyens et de la démocratie participative, cette « expérience pilote » de « co-construction d’un programme de recherche » veut entériner la diminution du pouvoir d’opposition des citoyens aux projets des multinationales, en promouvant des faux-semblants démocratiques.
Une recherche publique désintéressée ? Ou un enjeu de société ?
Tous ces éléments nous amènent à soutenir l’action des faucheurs volontaires d’OGM. Nous pensons évidemment avec eux que des essais en milieu confiné sont préférables. Mais ces actions de fauchage ne sont pas simplement des alertes face aux risques que les OGM représentent pour l’environnement, les paysans et la société en général. Elles sont le seul moyen réellement efficace pour imposer aux gouvernements les moratoires que nous exigeons.
C’est pourquoi nous sommes étonnés que des forces progressistes se permettent de traiter ces militants de « crétins » ou de « vandales »1. Sommes-nous des « imbéciles » quand, avec les faucheurs, nous demandons au gouvernement que « les fonds publics financent des recherches sur les alternatives de lutte contre le court-noué plutôt que sur des OGM dont on sait qu’ils généreront non seulement une dépendance des agriculteurs, vignerons, et travailleurs de la terre au brevetage sur le vivant, mais aussi des gains phénoménaux pour le secteur privé représenté ici par l’industrie agrochimique2 » ?
On peut aussi se demander où se place cette recherche française certes affaiblie (mais par les politiques gouvernementales et non par les actions des faucheurs) quand elle sert les intérêts des multinationales ? Nous sommes radicalement opposés à toute recherche (qu’elle soit privée ou publique) qui va dans le sens des intérêts des firmes semencières et agrochimiques.
L’erreur consiste à croire que l’Inra pratiquerait de la recherche désintéressée, dans ce contexte libéral. Mais cette erreur est encore plus grave quand elle ne permet pas de voir ce qui est flagrant : « Les OGM sont finalement un projet de société à part entière qui lègue des contaminations irréversibles aux générations futures. Reste à savoir si la société civile pourra ou non participer à ce choix, si on le lui permet. En attendant que la classe politique fasse son travail, et parce que les rouages de la démocratie ne traduisent plus les aspirations de la société, la nécessité fait loi, et la désobéissance civile s’invite pour faire entendre cette voix.3 ».
L’erreur est de taille, car elle dessine des alliances impossibles dans une période d’attaques virulentes pour lever les remparts européens et français contre l’invasion transgénique4. Mais cette erreur est fatale, car elle compromet la capacité de dessiner le futur : un monde sans OGM, où besoins sociaux et défis environnementaux seront décidés démocratiquement.
R. Milia
Notes
1. Voir le communiqué de presse du PCF du 18/08 « Le PCF s’indigne des actes de vandalisme perpétrés à l’encontre de vignobles OGM de Colmar » et l’article paru dans Lutte Ouvrière n° 2194 le 20/08 « José Bové solidaire des arracheurs de vigne de Colmar »
2. Communiqué de presse des Faucheurs volontaires après le fauchage de Colmar le 15/08
3. Tribune publiée par les Faucheurs volontaires le 24/08
4. Communiqué de presse du 23/08 de la Confédération paysanne : «Deux ministres à Colmar: l’affichage d’une volonté de passage en force. »