Publié le Lundi 11 février 2019 à 07h40.

Nucléaire en France : vers la catastrophe ?

Énergie propre et bon marché, nous ont seriné pendant des décennies les chantres du nucléaire français. De plus en plus, l'évidence s'impose : l'industrie nucléaire n’est ni bon marché, ni « propre ». Et depuis la catastrophe de Fukushima, personne ne peut dire qu’elle n’est pas dangereuse, même dans un pays développé comme le Japon.

Industrie dangereuse pour ses salariéEs et la population environnante, polluante pour les déchets radioactifs qu’elle laisse pour des siècles, elle n’est même pas bon marché si l’on compte tous les coûts savamment cachés comme le démantèlement des centrales. Sans parler de l’extraction de l’uranium en Afrique, où les populations locales exploitées, les sols pollués, et les dictateurs corrompus, sont l’apanage de l’industrie nucléaire française.

À l’heure où il semblerait que le temps soit venu de se débarrasser de ces centrales pour laisser la place à des énergies renouvelables, EDF fait de la résistance, et continue sa fuite en avant : super endettée, elle se lance désespérément dans de nouvelles constructions de centrales, notamment en Angleterre. Le projet de Hinkley Point représente un tel danger financier que le directeur financier d’EDF a démissionné, refusant d’assumer cette aberration économique. Il faut dire que, de service public, EDF est devenue petit à petit privée, et destinée à fournir des profits à tout prix à ses actionnaires. Quel que soit le coût humain et social. Tout en sachant qu’elle sera de toute façon renflouée par l’État, c’est-à-dire par le contribuable. Un contexte qui rend encore plus dangereuse la continuation de l’utilisation de cette énergie nucléaire aux mains des capitalistes. L’emploi massif de la sous-traitance, la recherche du profit maximum, la prolongation des vieilles centrales obsolètes, ce cocktail est plutôt détonnant et rend de plus en plus probable une catastrophe annoncée.

Et ce n'est pas le discours de Macron sur sa stratégie sur le climat pour les dix prochaines années qui peut nous rendre optimistes, car pour le gouvernement, pas question de se passer de l'énergie nucléaire. Il garde tout à fait ouverte la porte pour la construction de nouveaux EPR. Quant aux fermetures de centrales, il ne parle que de celle de Fessenheim d'ici la fin du quinquennat, alors qu’elle était déjà prévue en 2015 sous Hollande ! Les autres éventuelles fermetures sont repoussées à la Saint-Glinglin, à raison d’une tranche par an à partir de 2025, conduisant à 14 fermetures d'ici 2035. Car pour Macron, le nucléaire reste une « piste prometteuse ». En 2035, la plus grosse partie du parc nucléaire aura plus de 49 ans, et EDF parle d'aller jusqu'à 60 ans. Alors qu'il n'existe aucun retour d'expérience sur des centrales de plus de 50 ans. Et que les piscines de la Hague, qui stockent les déchets nucléaires, sont sur le point de déborder.

 

Flamanville : retards, surcoûts et dissimulation de défauts

Le mauvais feuilleton de la centrale dernière génération, EPR, de Flamanville, n'en finit pas. Prévue pour une mise en service en 2012 et un coût de 3,3 milliards d'euros, elle ne fonctionne toujours pas. Par contre, les plafonds de coût ont été explosés, puisqu'on parle maintenant de 11 milliards, soit quasiment 4 fois plus que prévu initialement, et une hypothétique mise en service au mieux en 2020. Les incidents, malfaçons, défauts de fabrication, se sont multipliés au fil des ans. 

À chaque fois, EDF et Areva, devenue Orano, pour faire oublier les scandales liés à Areva, ont essayé de cacher les problèmes rencontrés. L'autorité de contrôle, l'ASN, a repoussé à plusieurs reprises son autorisation d'ouverture au vu des défauts majeurs observés : problèmes sur le socle du futur réacteur, fissures dans la dalle. Puis, ce sont des anomalies découvertes sur des pièces du réacteur qui repoussent la date de démarrage à fin 2018. Nous y sommes, et d'autres défauts de conception ont été découverts sur la cuve et sur les soudures du circuit secondaire. La plupart des soudures ne respectent ni la norme d'EDF, ni même la réglementation exigée pour les équipements nucléaires sous pression. Le groupe doit reprendre 53 soudures, sachant qu'une seule soudure représente au moins 8 semaines de travail. C'est pourquoi l'ouverture de l'EPR est repoussée en 2020 au mieux. 

Plus grave encore, la cuve du réacteur présente un réel danger : une concentration de carbone trop importante, de 50% supérieure à la norme, qui met en péril la résistance de l'ensemble. Car une concentration excessive de carbone rend l'acier fragile, cassant, susceptible de multiples fissures en cas de sollicitations excessives. Et bien entendu, affirment les experts, les sollicitations thermiques ou mécaniques sont infinies, au cœur d'un réacteur nucléaire. Manifestement, le procédé de fabrication est mauvais, et EDF et Areva, qui le savaient depuis des années, n'ont rien dit. Pire, l'usine du Creusot, où cette cuve a été fabriquée, a falsifié des rapports afin de livrer une cuve défectueuse. 

Quand on sait que dans un réacteur nucléaire, la cuve est un élément essentiel, car elle contient les emballages combustible donnant lieu à la réaction de fission nucléaire, il y a du souci à se faire. Il s'agit d'une barrière de défense destinée à empêcher le relâchement de radioactivité à l'extérieur en cas d'accident. Mais l’ASN, sous pression, a finalement décidé, le 10 octobre dernier, de donner un avis favorable à la cuve de l’EPR de Flamanville. À condition que celle-ci fasse l'objet de contrôles suivis. Et compte tenu des difficultés, voire des impossibilités, de contrôler le couvercle, l'ASN n'autorise sa mise en service que jusqu'en 2024. Des membres de cette même autorité de contrôle sont inquiets : cela veut dire que « pendant 6 ans l'EPR fonctionnerait avec un couvercle défectueux et non contrôlé », s'inquiètent-ils. Le feuilleton n'est donc pas terminé. 

 

Le choix de l'énergie nucléaire : EDF et les pouvoirs publics persistent et signent...

L’énergie nucléaire représente en France 75 % de la production d’électricité, contre 10 % en moyenne dans le monde. C’est le fruit des choix faits par l’État dans les années 1970, qui étaient de favoriser cette technique au nom de l’indépendance énergétique de la France, passant pudiquement sous silence le fait qu'il n'y a pas d'uranium en France… et qu'il est extrait principalement au Niger. Ce choix a offert pendant des décennies un marché aux rois du BTP et à toute la filière nucléaire, qui va de la construction et la maintenance des réacteurs au traitement du combustible et des déchets.

Énergie dangereuse par nature, le nucléaire l'est encore plus aux mains des industriels, mus essentiellement par la recherche du profit. Fukushima a démontré l’irresponsabilité d’une entreprise privée comme Tepco, prête à falsifier des rapports, avec la complicité des autorités, pour ne pas amputer ses profits. En France, même si l’État reste son actionnaire majoritaire, EDF fonctionne avec la même logique de rentabilité, supprimant des emplois pour dégager des profits. Elle a recours à la sous-traitance et exploite les « nomades du nucléaire », qui subissent l’essentiel des radiations lors de la maintenance des installations. 

Et depuis le début du nucléaire, opacité et mensonge ont été la règle de la filière. 

 

… malgré un gouffre financier à l'étranger

La saga de l'EPR finlandais touche à sa fin. Au fil des déboires et des retards, le coût en a été multiplié par 5 ! Areva s'est acquittée de 450 millions d'euros pour solder son litige dû à son énorme retard. Ce fiasco, entre autres choses, a contribué à mettre Areva en quasi-faillite et le groupe a dû être sauvé par l'État, c'est-à-dire par le contribuable. 

Cela n'empêche pas EDF de continuer sa fuite en avant, avec le contrat de Hinkley Point en Angleterre. Malgré de nombreuses réticences sur le non-sens de ce projet, les mises en garde multiples des ingénieurEs et salariéEs du groupe, Macron, alors ministre de l'Économie, a pesé de tout son poids, y compris auprès d'un François Hollande assez réticent, pour imposer ce projet de deux EPR. Un projet aventuriste techniquement et financièrement. L'EPR de Flamanville n'a encore jamais fonctionné, et le calendrier de construction, cinq ans, est totalement irréaliste. Jamais, même lorsque EDF construisait des réacteurs en série, le groupe n'est parvenu à achever un chantier en cinq ans. Sans parler des conditions financières qui mettent en jeu les fonds propres d'EDF.  Au point que jamais le groupe n'avait connu une telle révolte interne : le directeur financier a démissionné, refusant de cautionner ce désastre annoncé, syndicats, ingénieurEs et salariéEs ont multiplié les mises en garde pour suspendre le projet, au moins le temps que Flamanville démarre, ce qui n'est pas encore pour demain. Il est probable que l'entêtement des dirigeants du groupe et de Macron tienne à la volonté de cacher le désastre industriel et financier de l'ensemble de la filière nucléaire.

Déjà, les premières évaluations des équipes d'EDF montrent que la plupart des prévisions étaient erronées. Le surcoût sera gigantesque, tout comme le retard. Et, selon l'avis de plusieurs experts, il n'est même pas assuré que l'EPR puisse être rentable. Avec tous les surcoûts ajoutés au fil des ans, le prix de production du mégawatt-heure étant désormais aussi élevé que celui des énergies renouvelables....

 

EPR : performance en fraudes à la législation du travail, sous-traitance

S'il fallait un exemple pour démontrer que la course au profit est la motivation essentielle d'EDF, le maître d'ouvrage, d’Areva, concepteur et fournisseur du réacteur, et de Bouygues, pour le béton, celui de l'EPR de Flamanville est parlant. En 2011, suite à la mort d'un ouvrier sur le chantier, l'ASN s'est penchée sur les conditions de travail. Et ce qu'elle a trouvé est consternant : dissimulation des accidents et travail illégal règnent en maître. Le tribunal de Cherbourg a été saisi. « L'EPR de Flamanville pourrait être un cas d'école pour les fraudes en matière de droit du travail », déclarait ainsi un des inspecteurs. 

Depuis une trentaine d’années, le recours à la sous-traitance par EDF ne cesse en effet d’augmenter. Les objectifs sont de limiter les coûts en mettant ces sous-traitants en concurrence et, surtout, en employant des salariés qui ne bénéficient pas du statut d’EDF. Ce système permet aussi de truquer les statistiques sur les risques encourus par les travailleurEs du nucléaire car les études de santé rassurantes portent le plus souvent sur les employéEs fixes et non sur cette main-d’œuvre volatile. Ce sont elles et eux qui effectuent des tâches de maintenance, nettoyage, et réparations diverses, souvent les plus dangereuses. Ce n'est pas pour rien qu'on les appelle « viande à rems ». Des témoignages récurrents venant de diverses centrales expliquent que la société sous-traitante change le badge de l'ouvrier qui a dépassé la dose admise, pour échapper au contrôle. Le recours massif à la sous-traitance ne fait pas courir de risques aux seulEs travailleurEs du domaine, mais également à la sécurité générale des centrales. La sous-traitance en cascade, avec une pression maximale sur les coûts, fait que des travaux sont forcément vite faits et mal faits. Cette sous-traitance incontrôlée apparaît comme une des causes les plus importantes d'accident.

 

Le coût de démantèlement largement sous-évalué

Cela va coûter cher, très cher ou très très cher, questionne un journaliste de l’Obs, à la suite d’un rapport parlementaire sorti en février, où il apparaît clairement qu’EDF minimise, comme à son habitude, les coûts. « Les hypothèses optimistes sur lesquelles EDF a bâti des prévisions, de même qu'un certain nombre de dépenses lourdes négligées, conduisent à s'interroger sur la validité des prévisions » de l'énergéticien, pointe ainsi diplomatiquement le document. En tout cas, les provisions d’EDF pour le démantèlement sont pour le moins maigrelettes : 350 millions environ alors que les autres exploitants européens de centrales mettent de côté entre 900 millions et 1,3 milliard d’euros par réacteur à démanteler. Les coûts de démantèlement sont deux fois plus élevés aux États-Unis et jusqu’à trois fois plus en Allemagne !  

 

Orano (ex-Areva) et ses dégâts humains, économiques et financiers

Orano tire l'essentiel de son uranium (40 %) au Niger, un des pays les plus pauvres de la planète, qui, comme de nombreux autres pays possesseurs de ressources précieuses, n'en profite pas. SeulEs 16 % des habitantEs y ont accès à l'électricité. Renégocié en 2014, le contrat entre Areva et le Niger semble, selon des ONG, plus défavorable qu'auparavant. Les chiffres publiés montrent que les revenus de l'uranium ont chuté de 15 millions d'euros entre 2014 et 2015. Il faut savoir que les filiales d'Orano bénéficient de nombreux avantages fiscaux : exemptions sur les droits de douane, exonération de TVA ou encore exonération sur les taxes sur le carburants. Ce qui leur permet au final d'échapper quasiment à l'impôt.  

Qui plus est, comme l'a montré un remarquable documentaire1  et un film, Colère dans le vent, d'Amina Weira, la population locale est contaminée par les activités de la mine : difficultés respiratoires, cancers, malformations d'enfants. L'eau est empoisonnée, les maisons construites avec la terre des mines, la nourriture est contaminée et le bétail se meurt. La réalisatrice reproche à Orano d’avoir accaparé les richesses du pays, sans prévenir les travailleurEs des risques, tablant sur l'ignorance des populations. Des accords secrets, négociés en son temps par Jacques Foccart, l'un des pères de la Françafrique, ont permis à la France de se targuer de son « indépendance énergétique », basée sur l'exploitation du sous-sol africain, au prix d'ailleurs d'ingérences politiques et de conséquences environnementales et sanitaires catastrophiques. 

On pourrait également parler du scandale de l'achat d'UraMin par Areva en 2007, qui a probablement donné lieu au versement de rétro-commissions et de malversations, pour lesquelles certains cadres d'Areva ont été mis en examen. Lorsqu'on sait que les noms de Balkany et Sarkozy apparaissent dans l'affaire, ainsi que des noms de banques situées dans des paradis fiscaux, on sent bien qu'il s'agit encore d'une affaire de la Françafrique. L'ancien agent des services secrets français, Vincent Crouzet, a écrit un ouvrage2 (que la direction d'Areva a essayé en vain de faire interdire) pour rappeler les conditions de cette transaction, dans laquelle Areva a investi à perte près de 2 milliards d'euros, à l'origine en grande partie de ses difficultés financières. L'affaire : trois gisements inexploitables ont été achetés pour près de 40 millions de dollars par des hommes d'affaires britanniques et canadiens, et revendus 15 mois plus tard pour 2,490 milliards de dollars (1,8 milliard d'euros) à Areva. C'est donc de l'argent public (l’État détient 87% du capital), qui s'est évaporé dans la nature. Cette fuite est en grande partie à l'origine des difficultés financières d'Areva, renflouée par l'État à hauteur de 4,5 milliards. Deux informations judiciaires sont en cours, mais peinent à déboucher sur quoi que ce soit.

L'État continue de soutenir le nucléaire envers et contre tout

S'il fallait un exemple de cet entêtement, l'usine d'hydroliennes de Cherbourg pourrait en être une bonne illustration. En juillet 2018, le projet de déploiement de sept hydroliennes au large de Cherbourg est mort né. Naval Energies, filiale de Naval Group, détenue à 60% par l’État, a annoncé l'arrêt de ses investissements dans cette technologie. Une usine de 5500m2 flambant neuve avait pourtant été inaugurée le 14 juin, juste un mois auparavant. Mais faute de soutien public, elle n'ouvrira pas. De l'argent des collectivités avait pourtant été insufflé dans le projet : 900 000 euros des collectivités locales, 100 millions pour le port. La raison ? Les pouvoirs publics s'étaient engagés par contrat sur un prix de rachat de l'électricité produite, et maintenant ils trouvent que cela coûte trop cher. Ils prétendent aussi qu'il n'y aurait pas assez de débouchés. Malgré des commandes fermes signées avec le Canada et le Japon…

Il y a donc loin des déclarations volontaires pour développer les énergies renouvelables et alternatives au nucléaire à la réalité. Le solaire n'est plus soutenu, et du coup, ne se développe pas. L'éolien en mer a été décidé il y a dix ans, mais on ne voit toujours rien venir. Notons que la France est le pays d'Europe qui possède le plus grand nombre de kilomètres de côtes, et pourrait donc développer sans problème ces techniques. Par exemple, le Danemark possède 506 éoliennes, le Royaume-Uni 1753, et l'Allemagne 1169. Et là, de nouveau, le gouvernement renonce à l'émergence d'une nouvelle filière industrielle, concurrente du nucléaire. Et c'est peut-être ici que le bât blesse : la volonté de construire six EPR à partir de 2025 semble indiquer le chemin que le gouvernement, sous la pression des lobbys du nucléaire, a décidé d'adopter.

Sortir du nucléaire, développer les énergies propres et renouvelables, semble plus que jamais urgent dans la période actuelle.

Régine Vinon 

  • 1. Niger, la bataille de l’uranium : https://www.youtube.com/…
  • 2. Vincent Crouzet, Une affaire atomique : UraMin/Areva, l'hallucinante saga d'un scandale d’État, Robert Laffont, 2017.