Dans la vision du monde des chefs d’État à l’époque de la guerre froide, la bombe atomique est présentée comme un « instrument de paix », une « arme politique », destinée à montrer ses forces (potentielles) mais surtout pas à être utilisée, chaque partie d’un conflit militaire potentiel cherchant à éviter sa propre mort.
Pourtant, le monde a été proche de l’abîme, à plusieurs reprises suite à des événements potentiellement lourds de conséquences et, surtout, révélateurs de la perversité du système.
Du 2 au 11 novembre 1983, la guerre nucléaire a ainsi failli éclater. L’Otan effectua de grandes manœuvres militaires intitulées « Able Archer 1983 » (« Archer habile ») dans plusieurs parties de l’Europe de l’Ouest, ce qui impliquaient la simulation d’une attaque nucléaire contre l’URSS. Au début de l’exercice, les troupes de l’Otan avaient suivi la consigne de couper la totalité des communications radio et de simuler le niveau d’alerte le plus élevé. Or, en raison d’une erreur d’analyse, le KGB soviétique – qui n’arrivait plus à tirer d’information des communications de l’adversaire – a considéré pendant plusieurs jours que le niveau d’alerte était réel, et qu’il s’agissait d’une attaque militaire authentique en préparation. Une dizaine d’avions soviétiques stationnés en Pologne et en RDA furent alors dotés de têtes nucléaires. L’escalade put être stoppée parce que d’autres analyses parvinrent à la direction du KGB.
Un mois et demi plus tôt, le 26 septembre 1983, l’escalade guerrière avait également pu être évitée in extremis. Elle s’était engagée du fait d’erreurs d’interprétation d’images satellites soviétiques…
La folie de la dissuasion
Au-delà d’événements accidentels, le contexte politique et militaire avait grandement favorisé un tel risque. Le climat général était tendu : le 1er septembre de la même année, l’URSS avait abattu un avion civil sud-coréen (269 personnes à bord) sur l’océan Pacifique, estimant probablement qu’il s’agissait d’un avion d’espionnage étatsunien. Mais un autre facteur pesait plus lourd encore.
Depuis l’élection du nouveau président Ronald Reagan en novembre 1980, et le lancement d’un gigantesque programme de réarmement, des cercles politiques et militaires influents aux USA avaient entamé une réflexion sur le thème : « Comment rendre gérable, et gagnable, une guerre nucléaire ? » Jusqu’au milieu des années 1980, le programme connu sous le nom de « Star Wars » (« Guerre des étoiles ») et le sigle SDI (pour « Initiative de défense stratégique ») visait à développer des boucliers sous forme de satellites spatiaux afin d’empêcher des fusées soviétiques d’atteindre leurs cibles nord-américaines.
La fin de la guerre froide a éloigné la menace à court terme d’une guerre nucléaire, sans pour autant que la politique de la dissuasion nucléaire soit remise en cause, bien au contraire. Ainsi, en avril 1986, lors du bombardement des villes libyennes de Tripoli et Benghazi – pour « se venger » d’un attentat terroriste attribué à Kadhafi – les USA firent monter les têtes nucléaires sur des fusées placées dans le sud-ouest de l’Allemagne fédérale, n’étant pas certains de la réaction soviétique.
Aujourd’hui, ce n’est plus une guerre entre deux blocs qui nous menace, mais toujours les mêmes folles élucubrations militaristes exacerbées par la montée des tensions internationales.
Bertold du Ryon