Publié le Samedi 8 mars 2025 à 16h00.

« Avec ces attaques de Trump sur tous les fronts, les gens, les militantEs sont désorientéEs »

Entretien. À l’approche du 8 mars, l’Anticapitaliste a interviewé Kay, militante dans le Milwaukee et membre du Comité national de Solidarity.

Trump vient de commencer son deuxième mandat. Quelles sont les conséquences pour les droits des femmes et des personnes LGBTI ?

Trump n’a pas de convictions sur l’avortement. D’une part, il veut montrer aux forces anti-­avortement qu’il est de leur côté, mais de l’autre il ne veut pas se mettre à dos celles et ceux qui sont pour le droit à l’avortement. Et il y en a beaucoup chez les Républicains, notamment chez les femmes. Néanmoins, les forces anti-avortement, qui visent une interdiction nationale, sentent qu’elles ont le vent en poupe avec son élection. 

À l’été 2023, la Cour suprême a renversé la décision de Roe vs. Wade, de 1973. Aujourd’hui, la base de Trump, très anti-­avortement, attend qu’il aille plus loin. Il dit être fier d’avoir nommé les trois juges qui ont permis de renverser l’arrêt Roe vs. Wade. 

Concernant les LGBTI c’est très différent. Il était frappant pendant la campagne de voir les Républicains dépenser des centaines de millions de dollars dans les publicités pour attaquer les trans. Un terrain préparé depuis des années avec le passage de lois anti-trans dans des États comme le Texas ou la Floride. En Floride, on dit « Don’t say gay » : il ne faut pas prononcer le mot gay dans les écoles primaires. Pour les enfants, on ne peut pas parler de sexualité, d’orientation sexuelle. Et surtout pas d’identité sexuelle. Pendant la campagne, Trump a déclaré qu’il n’y a que deux sexes. 

Il s’est passé une chose terrible à Stonewall, à New York, qui a été en 1969 le centre du soulèvement gay et lesbien (comme on disait à l’époque). Ce mouvement a été mené par deux femmes trans, de couleur — une Portoricaine et une femme noire. Il y avait un monument fédéral où était gravé LGBTQ dans une pierre, comme dans un cimetière. La semaine dernière, ils ont enlevé le T et le Q. Il y a maintenant LGB, comme si le T (les trans) n’existait pas. 

Est-ce que, dans la population, les gens se sont sentis autorisés à être agressifs ?

Absolument, parce qu’une fois que ça vient d’en haut, ça ouvre les possibilités. Il y a aussi un changement dans les grandes sociétés qui étaient beaucoup plus « progressistes » sur les questions LGBTI, comprenant qu’il faut être ouvert à la diversité.

En 2021, en Caroline du Nord, un État réactionnaire du Sud, la Chambre des députéEs avait introduit un projet de loi pour bannir les trans des toilettes correspondant à leurs identités. Le projet avait été retiré car l’association sportive, la NCAA, qui organise 500 000 athlètes universitaires, avait menacé d’arrêter les championnats dans l’État si le projet passait. Des associations disaient la même chose. Mais il y a eu un tournant. Le lendemain du jour où Trump a dit que les trans ne peuvent pas faire de sport, la NCAA a exclu les athlètes trans.

Parmi les 500 000 athlètes universitaires, il y a entre 10 et 40 athlètes trans. C’est un nombre très faible, entre 1 % et 2 % de la population et pas d’organisations trans fortes. On commence avec eux et elles et puis on passe aux autres. Ainsi en 2023, Clarence Thomas, l’un des juges réactionnaires, a invité le procureur à revenir sur le mariage gay acquis depuis des années. C’est le début d’attaques plus générales.

Est-ce qu’il y a des mobilisations en réaction à ces attaques ?

Le lendemain de l’intronisation de Trump en 2017, il y a eu d’énormes mobilisations : un million de gens à l’appel des organisations de femmes à Washington, et plus encore partout aux États-Unis. C’était un peu flou sur les mots d’ordre parce que c’était une défense générale de l’avortement mais ça montre le potentiel de ­mobilisation. 

Le problème, c’est le recul de tous les mouvements. Après les grandes mobilisations dans les années 1970, le mouvement des droits civiques, celui des femmes s’est détourné vers les campagnes électorales avec l’idée de passer des lois au niveau de chaque État et au niveau fédéral.

Le meilleur exemple, c’est le projet d’amendement à la Constitution, le ERA (amendement des droits égaux). C’est très difficile parce qu’il faut qu’il passe dans 75 % des États et par une majorité des deux tiers à la Chambre de députéEs et au Sénat. Ils ont fait une grosse campagne. Mais ce n’était pas une campagne dans les rues. C’était des lobbies, des courriers, des rencontres avec des députéEs. Ce mouvement très institutionnel a détourné le ­mouvement de la rue et démobilisé.

Maintenant, il y a une ou deux générations qui ne savent pas vraiment lutter de cette façon. Ça reviendra mais on a perdu la culture des luttes de masse. De même pour le mouvement des droits civiques. Le mouvement des NoirEs dans les années 1950-1970, c’était extraordinaire avec des acquis supers. La plupart sont en train d’être perdus, comme le droit de vote : au niveau des États, des mesures vont rendre l’accès aux urnes plus difficile pour les étudiantEs, les gens marginalisés, qui n’ont pas le permis de conduire ou bien pas une carte d’identité d’un certain type.

Sur l’avortement, au-delà de la question du droit, en France, demeure le problème de l’accès réel à l’avortement. Qu’en est-il aux USA ?

L’extrême droite anti-­avortement avait comme stratégie de bloquer l’accès des cliniques. Actuellement, la Cour suprême est en train de débattre d’une loi qui garantirait une zone de sécurité devant les cliniques. On va voir ce qui se passe avec ça…

Une autre question est celle des pilules abortives à base de mifepristone (connues sous le nom de RU-486). Il y a une bataille pour savoir si on a le droit de l’envoyer dans un État où il est interdit. Dernièrement, le procureur général du Texas, un vrai réactionnaire, a demandé l’extradition d’un médecin d’un État où l’avortement est toujours légal, qui avait envoyé à une femme ces pilules de mifepristone. Cette répression est faite pour intimider. À peu près 50 % des avortements sont faits avec ce genre de pilule, donc ceux qui veulent empêcher les avortements doivent viser ces pilules car beaucoup d’avortements ne se passent plus dans les cliniques.

Comment préparez-vous le 8 mars ?

Avec ces attaques sur tous les fronts, les gens, les militantEs sont désorientéEs. Où mettons-­nous les forces ? La vision des gens et les luttes sont très éparpillées, le mouvement populaire très déstabilisé. En 2017, il y avait un million de personnes à Milwaukee, la plus grande manifestation que j’ai jamais vue. Et puis plus rien. Il y aura une réponse mais je pense qu’on est tous un peu confus. Et j’avoue, il y a de la peur. Peur de manifester mais surtout une peur plus globale. La répression n’est pas très forte pour l’instant car il n’y a pas beaucoup de mobilisations. Rappelons que pendant le premier mandat, Trump voulait que l’armée intervienne pendant les manifestations de Black Lives Matter. Le général Marc Miley en refusant a mis Trump en colère, et il a été limogé. Lui et sa famille reçoivent des menaces des amis de Trump qui le qualifie de « traître ». Il peut y avoir de la répression. Il y a eu des mobilisations en solidarité avec la Palestine dans les universités qui ont subi une répression féroce. Les procès se multiplient contre les militantEs, étudiantEs et les soutiens. Il y a une identification de l’antisionisme à de l’antisémitisme : attaquer l’État d’Israël ou montrer de la solidarité avec la population de Palestine ou même appeler au cessez-le-feu peut être qualifié d’antisémitisme. Au total, les mobilisations sont difficiles.

Mais les grandes mobilisations de Black Lives Matter, des luttes syndicales de grande envergure comme dans l’automobile et l’enseignement, et les campements et manifestations pro-Palestine de ces dernières années serviront d’inspiration et de point de référence pour les mobilisations et luttes à venir.

Propos recueillis par Elsa Collonges