Publié le Mardi 3 juillet 2012 à 08h09.

Traité européen : une étape de plus vers la « sauvagerie sociale »

 

Le Traité pour la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) de l’Union économique et monétaire, négocié par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, marque une étape de plus dans la soumission de l’Europe aux intérêts de la finance et aux règles que celle-ci souhaite voir imposées. François Hollande a annoncé qu’il le renégocierait. On verra ce qu’il en sera.

Les classes dirigeantes et la technocratie européenne sont incapables de sortir de la crise. En fait, elles utilisent celle-ci pour réduire les dépenses publiques, affaiblir les systèmes de protection sociale et le droit du travail, priver les peuples de toute voix au chapitre sur les questions monétaires et budgétaires.

Certes, depuis le traité de Rome en 1957, la construction européenne a été marquée par la logique du marché mais celle-ci s’est progressivement accentuée. L’Acte unique de 1986 a signifié un saut qualitatif en ce sens. L’objectif d’un marché unique des capitaux, des marchandises et des services ouvert à la concurrence internationale, est devenu l’axe central de la construction de l’Union. Sur cette lancée, la politique communautaire s’est attaquée aux entreprises et services publics.

Mais cette logique néolibérale est appliquée à des réalités nationales profondément différentes, que l’Union se donne de moins en moins le moyen de faire converger. Le budget communautaire est gelé à un montant équivalent à un peu plus de 1 % du PIB. Le traité de Maastricht avec la monnaie unique a été élaboré comme un instrument de convergence, mais de convergence par la monnaie et l’austérité.

Un durcissement des dispositions actuelles

En 1996, en préalable à la mise en œuvre de la monnaie unique avait été négocié le Pacte de stabilité par le gouvernement Juppé. Lionel Jospin avait annoncé durant la campagne des législatives de 1997 qu’il le renégocierait : « Le pacte de stabilité, c’est du super-Maastricht, et c’est une concession que le gouvernement français a faite absurdement aux Allemands ou à certains milieux allemands. Donc, je n’ai aucune raison de me sentir engagé par rapport à cela ».

Les élections gagnées, Lionel Jospin choisit de ne pas s’opposer à l’adoption du pacte et de se contenter de demander l’ajout d’un volet « emploi ». La Commission européenne et le Chancelier allemand Helmut Kohl acceptèrent l’insertion d’un chapitre sur l’emploi, ce qui ne mangeait pas de pain car Bruxelles n’acquérait ni pouvoir ni fonds en matière de lutte contre le chômage. Les 17 et 18 juin 1997 à Amsterdam, Jospin signait donc le Pacte de stabilité.

Le Pacte de stabilité et de croissance prorogeait les critères de Maastricht : dette publique inférieure à 60 % du PIB, déficit budgétaire inférieur à 3 % du PIB. Ces règles limitaient très fortement les marges de manœuvres budgétaires des Etats, alors même qu’avec la création de l’euro, leur autonomie monétaire disparaissait. Ces objectifs n’ont pas empêché l’Irlande et l’Espagne qui les respectaient largement de sombrer après l’éclatement de la crise financière2.

La crise s’est traduite depuis 2008 par une récession puis une très faible croissance et une hausse du chômage. Mais après une année de politiques de soutien aux banques et à l’activité, face à l’aggravation des déficits publics et à l’accroissement de la dette publique, les gouvernements européens et les institutions de l’Union ont fait le choix d’une politique d’austérité généralisée.

Les gouvernements européens vont, avec le TSCG, les durcir considérablement par le biais d’une série de dispositions :

m L’instauration d’une « règle d’or » indiquant que « la situation budgétaire des administrations publiques (…) est en équilibre ou en excédent ». Cette règle devra être intégrée « par le biais de dispositions contraignantes et permanentes, de préférence au niveau constitutionnel, de façon à garantir son respect dans le processus budgétaire national ». Elle sera considérée comme respectée si le déficit structurel atteint 0,5 % du PIB. Le déficit structurel est le déficit budgétaire calculé hors des variations de la conjoncture et son calcul pose de nombreux problèmes méthodologiques. Le rapport annuel 2012 de la Cour des comptes indique que le déficit structurel de la France était de 5 % du PIB en 2010, soit 96,55 milliards. Le ramener à 0,5 % du PIB aurait supposé une économie de près de 87 milliards d’euros !

m Concernant la dette publique, les États qui dépasseraient le montant de 60 % du PIB devront le réduire en trois ans suivant la règle d’un vingtième par an.

m En cas de dépassement des normes de déficit budgétaire, un mécanisme de sanction à l’initiative de la Commission est mis en œuvre. Les pays devront réduire leur déficit, selon un calendrier proposé par la Commission. Les pays en déficit devront soumettre leurs budgets et des programmes de réformes structurelles à la Commission et au Conseil, qui donneront leur avis et surveilleront l’exécution du budget. Une majorité qualifiée des pays de la zone euro sera nécessaire pour s’opposer à des sanctions décidées par la Commission.

m L’instrument privilégié pour revenir à l’équilibre n’est pas l’augmentation des recettes fiscales (surtout pas celles qui pourraient provenir des personnes à revenu élevé et des entreprises) mais la restriction des dépenses, notamment sociales. Alors que la consommation des ménages stagne ou régresse, une telle politique ne fera qu’accroître les difficultés économiques.

Pour comprendre ce qui est en train de se jouer, il faut également regarder ce qui se passe dans des pays comme la Grèce, l’Italie ou le Portugal. Les institutions européennes ne leur demandent pas seulement des efforts d’austérité mais des réformes structurelles qui modifient substantiellement le droit du travail, réduisent la force des conventions collectives et individualisent la relation entre le salarié et son employeur.

Un test pour François Hollande

Ces normes du TSCG et la politique européenne dans son ensemble correspondent à un choix social : les droits des créanciers et les profits des grandes entreprises contre le reste de la population. L’adoption du nouveau traité a ainsi été chaudement applaudie par le monde des affaires, et notamment la fédération patronale européenne BusinessEurope ; mais, pour la première fois de son histoire, la Confédération européenne des syndicats (CES) s’est opposée à un traité européen.

Lors de la campagne électorale, le candidat François Hollande a fait des déclarations assez contradictoires. D’une part, il a réaffirmé sa volonté d’arriver à l’équilibre budgétaire en 2017, c’est-à-dire d’appliquer sur ce point les recommandations du traité. D’autre part, il a annoncé vouloir le « renégocier » pour y adjoindre un « pacte de responsabilité, de gouvernance et de croissance ». François Hollande se retrouve dans la même situation que Lionel Jospin en 1997. L’acceptation ou le refus du TSCG aura donc valeur de test.

De plus, François Hollande ne s’est pas prononcé sur la question du mode de ratification du traité : ratification parlementaire (c’est-à-dire par une majorité PS-UMP) ou bien référendum ?

Le refus du TSCG ouvrirait sans aucun doute une crise politique en Europe. Une telle crise serait souhaitable parce qu’il est illusoire de croire à la possibilité de modifier en douceur l’orientation de la construction européenne.

La tactique de la social-démocratie européenne est une impasse. Depuis des années, les gouvernements socialistes ont accepté la construction néolibérale, voire l’ont suscitée comme Jacques Delors (alors président de la Commission après avoir été ministre des Finances sous Mitterrand) avec le traité de Maastricht. L’argument était toujours le même : le social viendrait après. Résultat : des règles qui ont aggravé en Europe l’impact de la crise et font payer aux peuples les méfaits de la finance, sans garantir d’un recul de la construction européenne dans les mois qui viennent.

L’idée d’une Europe unie soutenue, contre les nationalismes, par les progressistes depuis le 19e siècle, de Victor Hugo à Léon Trotsky, se discrédite de par son identification avec un capitalisme de plus en plus marqué par la « sauvagerie sociale ». Une autre Europe est bien nécessaire : elle passe par le rejet du TSCG et par des mouvements sociaux et politiques capables d’imposer des mesures anticapitalistes.

Henri Wilno

1. « C’est tenable avec davantage de sauvagerie sociale », remarque l’économiste français Jean-Paul Fitoussi à propos de la situation économique espagnole dans Le Monde du 1er juin 2012 (« La voie étroite de l’Espagne pour s’en sortir seule »).

  1. En 2007, l’Espagne et l’Irlande étaient en excédent budgétaire et leur dette publique était nettement inférieure à 60 % du PIB.