Publié le Lundi 30 septembre 2019 à 06h05.

« Des projets destructeurs pour les Finances publiques, une administration au cœur du fonctionnement de l’État »

Entretien avec Anne Guyot-Welke, porte-parole de Solidaires Finances publiques, à propos de la politique fiscale du gouvernement, de ses projets de « réforme » de la Direction générale des Finances publiques (DGFiP) et des mobilisations en cours. 

Peux-tu nous faire dans un premier temps un bilan de la politique fiscale du gouvernement ?

Les orientations fiscales de ce gouvernement sont du « moins d’impôt » au lieu du « mieux d’impôt » alors que le besoin de justice fiscale et de justice sociale s’est largement exprimé au cours des derniers mois. 

Ainsi ce gouvernement a fait le choix de la baisse des impôts, voire de la suppression de certains d’entre eux : ISF, taxe d’habitation, redevance audiovisuelle, impôt sur les sociétés. Par ces choix fiscaux, il favorise certains acteurs économiques comme les entreprises au détriment des ménages ; mais aussi à l’intérieur de ces sphères il privilégie les plus aisés. Ainsi, la suppression de l’ISF et la création du prélèvement forfaitaire unique (PFU) à 30 % permet aux ménages détenteurs de revenus financiers de réduire leur participation à la contribution commune qu’est l’impôt. En effet, le principe de la flat tax permet aux classes les plus riches de ne pas être taxées sur ces revenus en fonction du barème et notamment en fonction de la dernière tranche.

Côté entreprises, les plus riches sont de nouveau gagnants, notamment avec la transformation du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) en allègement de cotisations sociales à hauteur de 20,4 milliards d’euros, auquel s’ajoute la baisse du taux d’imposition pour les sociétés qui sera amené à 25 % d’ici 2022 contre 33,33 % (en taux facial) au début du quinquennat. 

Enfin, si l’on prend la suppression de la taxe d’habitation qui semble être une mesure populaire, c’est oublier que les collectivités locales vont perdre peu à peu de leur autonomie financière, avec une perte conséquente de recettes à laquelle s’ajoute la baisse des dotations globales de fonctionnement. Ainsi le financement des actions locales au plus près des citoyennes et citoyens risque de se réduire.

Ainsi ce gouvernement, de par ses orientations fiscales, fait le choix assumé de privilégier une classe, celle des plus riches, et ne s’attaque pas à une réforme profonde de la fiscalité redistributrice des richesses et de réduction des inégalités. De plus ces baisses d’impôts vont se traduire par une individualisation des droits fondamentaux que sont par exemple l’accès aux soins, à la santé…

L’une des réforme centrales de ce gouvernement sur la DGFIP est la mise en place d’un nouveau réseau de proximité. Peux-tu nous expliquer de quoi il s’agit ?

Ce projet dénommé « géographie revisitée » ou « déconcentration de proximité » a pour objectif de revoir la cartographie de l’administration des finances publiques. Cette nouvelle cartographie se met en place dans un cadre de suppressions d’emplois massives : 5 800 sur les 3 dernières années du quinquennat. Ainsi l’administration aura subi 45 000 pertes d’emplois depuis 2002. Ces nouvelles cartographies ont pour conséquence de réduire de façon brutale les implantations des services de pleine compétence en mettant en place des points de contact qui ne seront que des services low cost. Ainsi, les départements verront les réductions drastiques des trésoreries (environ 1 000 fermées d’ici 2022). Ces dernières ont pour missions de contrôler les recettes et les dépenses des collectivités locales mais aussi d’apporter des conseils en termes de gestion de ces dernières. Les contreparties sont les points de contact « vendus » comme offre de services supplémentaires pour les citoyennes et citoyens. Ils ne seront en réalité que des lieux sous-implantés dans des Maisons France Services dans lesquels les agentEs des finances publiques ne seront présents que de façon ponctuelle. Les usagerEs rencontreront un interlocuteur qui ne sera pas un fonctionnaire mais un salarié en CDD, au mieux en CDI, dont le rôle sera de les accompagner dans les démarches dématérialisées, comme par exemple la demande d’un rendez-vous pour avoir des explications sur leur situation fiscale.

Ce projet prévoit également la « démétropolisation » d’environ 3 000 agentEs. Il s’agit d’un mouvement de services non encore déterminés à ce jour, situés dans les métropoles vers des départements ruraux. Bien sûr ces projets se font dans cadre d’une pseudo concertation. Présentés en juin, ils devront être finalisés d’ici la fin de l’année. Pour Solidaires Finances publiques, ces projets sont destructeurs pour une administration au cœur du fonctionnement de l’État.

Quelles conséquences cette réforme aura-t-elle sur les usagerEs et les agentEs des Finances publiques ? 

Cette réforme a des doubles conséquences pour les citoyenEs usagerEs. Tout d’abord, ils n’auront plus, près de leur domicile, un accueil technicien assuré par des agentEs des finances publiques qui, de par leur statut de fonctionnaires, traitent de façon équitable les contribuables. L’autre pan moins visible de ce projet c’est le contrôle des deniers publics en termes de recettes. En effet la mission de contrôle de dépenses et des recettes des collectivités locales assurée par une administration permet d’assurer le bon fonctionnement et la bonne gestion de ces dernières. En remettant en cause cette mission, notamment avec la fin éventuelle de la séparation des ordonnateurs et des comptables, cela peut avoir des conséquences lourdes en termes de démocratie. En effet, on peut voir se développer des phénomènes de collusion entre certains intérêts particuliers.

Pour les agentEs ce projet est lourd, au regard de l’exercice des missions où l’industrialisation des tâches remet en cause à la fois la technicité jusqu’ici reconnue des personnels mais aussi la qualité rendue des missions. En effet le détricotage des missions, en cours depuis une dizaine d’années maintenant, casse les chaînes de travail mais remet aussi fondamentalement en cause ces dernières, au point que dans les préconisations de CAP 2022 qui concernent notamment la DGFiP des missions sont aujourd’hui externalisables, transférables ou purement et ­simplement abandonnées.

Cela engendre une perte de ­repères qui se traduit par un mal-être croissant chez les personnels, tous grades confondus, et une inquiétude forte sur leur devenir professionnel et personnel qui a été relevée dans le bilan social du ministère. Les inquiétudes des agentEs sont multiples : quelles seront les missions qui me seront confiées, seront-elles faites encore dans le cadre de la fonction ­publique, devrai-je suivre la mission et renoncer à mon statut ? L’état d’esprit des collègues est loin d’être calme et tranquille.

À l’appel de l’intersyndicale des Finances publiques, une grève a démarré le 16 septembre. Qu’en est-il aujourd’hui ? 

Le 16 septembre, à l’appel de l’inter­syndicale, les personnels de la Direction générale des Finances publiques se sont mobilisés avec près de 40 % de grévistes, avec des taux allant à plus de 50 %, voire 70 % pour un grand nombre de directions territoriales. Les revendications des fonctionnaires de la DGFiP portées par l’intersyndicale sont le retrait du projet « géographie revisitée » et l’ouverture de négociations autour de l’organisation des missions, des règles de gestion, notamment leurs droits et garanties remises en causes régulièrement depuis des années, la rémunération et les conditions de travail.

Cette journée est la première d’une mobilisation qui s’inscrit dans la durée. Dans certaines directions les personnels ont fait le choix, en assemblée générale, de partir sur des reconductions, d’autres sur des modalités d’actions différentes sur des plages horaires variables. Il est clair que la colère des personnels est bien réelle, la difficulté est qu’elle s’exprime de façon hétérogène. Il en ressort la difficulté de construire un rapport de forces d’ampleur pour contrer les projets dévastateurs pour notre administration et ses personnels. Cependant l’intersyndicale est convaincue de l’importance de travailler dans l’unité pour élever le rapport de forces avec une large majorité des personnels.

Enfin, dans la période, l’intersyndicale s’appuie également sur les éluEs locaux qui sont pour certaines et certains vent debout contre le projet qui va dénaturer le service public de proximité et ne répondra pas aux attentes des citoyens et citoyennes.

Propos recueillis par Joséphine Simplon